Jean Racine et l'Orient

Ce qui dès lors apparaît avec le relief le plus vif est que l'Orient est plus qu'un thème, fut-il mythique, chez Racine. Il ne fournit guère matière à exotisme, et ses Turcs sont galants à l'occasion. Mais la démarche critique la plus usuelle se trouve, face à un tel objet, comme retournée. Que des questions d'interprétation scénique et de réception soient venues au premier plan est révélateur. Révélateur d'une force trop souvent sous-estimée de la littérature: celle d'interroger, autant sinon plus que de se laisser expliquer. Il est tentant et légitime de voir dans les oeuvres de Racine des creusets où bouillonnent les ethos amoureux de son temps. Ou les questions majeures de politique intérieure, ou encore celles de religion. Mais à scruter les images qui s'y offrent de l'Orient, on voit surgir des questions qui touchent à l'ailleurs, à l'extérieur, à l'altérité. A la politique extérieure, bien sûr, comme dans Mithridate et Iphigénie, mais aussi à cet autre, à la fois semblable et irréductiblement différent, l'autre de la tyrannie qu'on rejette mais redoute (Bajazet), ou l'autre des haines aussi jalouses qu'inexpiables entre peuples (Esther), et l'autre-semblable, qui est l'ancêtre, l'autre origine. Du coup, ce théâtre devient, par les confrontations réitérées entre Orient et Occident qu'il met en scène un espace d'affrontements du Soi et de l'Autrui.